Cécile Tohoulys, Magistrat | Côte d’Ivoire

La Lutte Contre la Traite des Personnes et le Crime Organisé. Exemple de la Côte d’Ivoire

Madame/Monsieur le Représentant du Ministre de la Justice de l’Italie,
Excellence Monsieur le Responsable de l’Académie Pontificale des Sciences,
Mesdames et Messieurs les Délégués,
Honorables invités, Chères Collègues en vos rangs grades et qualités.

Je voudrais, à l’entame de mon propos, remercier vivement le Pape François et l’Académie Pontificales des Sciences, pour l’organisation de cette deuxième rencontre de réflexion et de formation, dédiée au Renforcement des Capacités des Femmes Juges d’Afrique, dans le cadre de la lutte contre la traite des Etres Humains et le crime organisé. Le grand nombre de pays représentés témoigne, assurément, de l’intérêt mondial que suscite ce nouveau fléau de notre civilisation.

J’associe pleinement à ces remerciements, l’Association Internationale des Femmes Juges, ainsi que la Côte d’Ivoire, qui ne ménage aucun effort pour la protection des droits des personnes et de la femme.

Mesdames, Messieurs.

La brève communication que j’ai l’honneur de présenter et, dont le thème est La Lutte Contre la Traite des Personnes et le Crime Organisé. Exemple de la Côte d’Ivoire, s’articule autour des points suivants :

  • Les causes de la traite des personnes et du crime organisé ;
  • Les mécanismes juridiques et institutionnels prévus en Côte d’Ivoire pour combattre ce phénomène,
  • La coopération juridique internationale, en la matière ;

I- L’APPROCHE DEFINITIONNELLE ET LE RESEAU CONCEPTUEL

La traite des personnes est l’expression usuelle qui sert à nommer le fait de recruter, transporter, transférer, héberger ou accueillir des êtres humains,  en  ayant recours à la force, à la contrainte, à la tromperie ou à d'autres moyens tous aussi répréhensibles, en vue d'exploiter les concernés. Bien plus qu’une simple balafre maligne qui altère le si beau visage qu’offrent l’interaction des cultures de nos civilisations respectives, la traite des êtres humains est un crime honteux.

L’Afrique, mon continent, garde encore le douloureux souvenir d’indicibles barbaries qui ont tant nié l’être humain et dont la simple évocation révulse encore aujourd’hui. Hier sauvage et brutale, cette pratique est aujourd’hui plus subtile, plus sournoise et surtout, plus multiforme.

Quant au crime organisé, il désigne l’activité hors la loi, d’une structure humaine relativement stable, composée de plusieurs personnes qui agissent sous les ordres d'un Chef ou d'un Comité de Direction, pour faire des profits illicites, par des méthodes répréhensibles et dans des domaines prohibés.

En définitive, traite des personnes et crime organisé sont deux phénomènes qui, dans un cas, aliènent les droits légitimes reconnus à tout citoyen et dans l’autre cas, désorganise illégalement nos écosystèmes socioéconomiques. Il convent à présent d’en interroger les causes et les conséquences.

II- LES CAUSES ET LES CONSEQUENCES DE LA TRAITE DES PERSONNES ET DU CRIME ORGANISÉ

Pratiquement consubstantiels de l’évolution de nos sociétés, la traite des personnes et le crime organisé sont des phénomènes aussi vieux que le monde qui prennent malheureusement une ampleur inquiétante, avec des sophistications de plus en plus complexes.

La définition de la traite des personnes la plus universellement utilise se trouve dans le Protocole Additionnel à la Convention des Nations Unies de 2000, contre la criminalité transnationale organisée (convention de Palerme 1), visant à prévenir, réprimer et punir le trafic des personnes en particulier des femmes et des enfants. Protocole Ratifie par la Côte d’Ivoire.

Selon le rapport du Département d’Etat américain de 2016, la Côte d’ivoire serait un pays d’origine, de transit et de destination des victimes de traite des femmes exploitées sexuellement et des enfants exploités dans les travaux jugés dangereux et inadaptés a leur âge. En effet au plan interne des jeunes filles communément appelés bonnes sont recrutées et transportées à Abidjan ou elles sont parfois exploitées économiquement et sexuellement

Ce même rapport indique aussi que des jeunes filles ont été recrutées en Côte d’Ivoire, ou dans la sous-région et elles transitent en Cote d’Ivoire pour être exploitées dans des travaux domestiques en Arabie Saoudite, au Liban et dans bien d’autres pays.

Au surplus, il est à déplorer qu’un peu partout, en Côte d’Ivoire les services de Douane et de police aux frontières interceptent régulièrement des enfants et des jeunes filles recrutées dans la sous-région par des Trafiquants, des parents ou des chefs de communautés ethniques ou religieuses en vue de les faire travailler dans les champs, le bâtiment le travail domestique ou pour les soumettre à une exploitation économique et sexuelle. Ces criminels compromettent ainsi l’avenir de ces jeunes.

La survenance de la traite des personnes est favorisée par de multiples causes dont les plus importantes sont la pauvreté  la recherche éperdue d’un mieux-être, d’un emploi, d’un mariage  et également par les guerres et les déplacements massifs de populations qu’elles engendrent, les crises politico-militaires et le climat d’insécurité  qu’elles produisent, les forts taux de chômage et la précarité de vie qui en découlent…

Aujourd’hui, la traite des personnes et le crime organisé génèrent des milliards de dollars de profits, pour les criminels qui en usent dans le monde entier.

De nombreuses victimes non identifiées, souffrent et meurent dans l’anonymat brisées par la cruauté d’autres êtres humains. Pour ces larmes qui ont coulées en silence et loin de tout secours avant de cesser définitivement au fond d’un conteneur ou dans une fausse commune, j’aimerais avec respect et considération, vous convier, Mesdames et Messieurs, à nous lever ensemble pour accorder une minute de silence, en hommage à ces victimes de nos tares sociales.

Je vous remercie.

D’un autre côté, ils sont tout aussi nombreux, ces Trafiquants et autres Criminels  impunis, en raison de cadres juridiques et politiques inadéquats, ainsi que de la faiblesse des systèmes de justice pénale en place dans de nombreux pays, où l’exercice du Droit est aussi en voie de développement.

Devant l’ampleur et la gravité de ces fléaux, la Cote d’Ivoire a entrepris de lutter contre ce phénomène en engageant depuis 2002, des actions de prévention, de protection et de répression à plusieurs niveaux. Les enfants victimes de traite ou de migration irrégulière et à risques de finir dans les filets des trafiquants bénéficient d’une prise en charge ou sont rapatries.

III LES MECANISMES JURIDIQUES ET INSTITUTIONNELS

Le Système Juridique

La Cote d’Ivoire a renforcé son cadre juridique en adoptant de nouvelles lois et en ratifiant des conventions internationales relatives aux droits de l’Homme et à la lutte contre le crime organisé, notamment :

·           La Loi n° 2010-272 du 30 septembre 2010, portant interdiction de la traite et des pires formes de travail des enfants,

·           L’ordonnance n°2013-660 20 du septembre 2013, relative à la Prévention et à la lutte contre la corruption et les infractions assimilées ; portant également création de la Haute Autorité pour la Bonne Gouvernance.

·           La loi de 2016 réprimant la traite des personnes

·           La Loi 2016-992 du 14 novembre 2016, portant répression du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.

·           La Convention des nations unies relatifs aux droits de l’enfant (CDE) le 04 février 1991

·           La Convention des nations contre la criminalité transnationale organisée et le protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants le 25 octobre 2012

·           La Convention des nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes le 25 novembre 1991

·           La convention des Nations Unies contre la Corruption le 25 octobre 2012.

Le Cadre Institutionnel

Outre les campagnes de sensibilisation et la coordination des initiatives en matière de lutte contre la traite et le crime organisé, plusieurs structures et organismes ont été mis créés.

Il s’agit notamment, au titre de la prévention :

  • Du Comité National de Surveillance des actions de lutte contre la traite, l’exploitation et le travail des enfants (CNS). Il est présidé par la première Dame.
  • Du Comité Inter Ministériel de lutte contre la traite, l’exploitation et le travail des enfants (CIM).

En ce qui concerne la répression, les structures suivantes ont été créées :

  • L’Unité de lutte contre la Criminalité transnationale organisée (UCT).
  • La Sous-Direction de la Lutte contre le Travail des Enfants et la Délinquance Juvénile (SDLTEDJ).
  • La Haute Autorité pour la bonne gouvernance.
  • La Cellule Spéciale d’investigation et de Lutte contre le Terrorisme.

Malgré toutes ces initiatives significatives, la Côte d’Ivoire est consciente que toute seule, elle ne peut éradiquer ce fléau. C’est ainsi qu’elle a conclue des accords de coopération avec plusieurs pays victimes du même phénomène ; Je peux citer :

III- Le renforcement de la coopération sous régionale, régionale et internationale

La Cote d’Ivoire a signé des conventions avec plusieurs pays pour lutter contre la traite et le crime organise ; Il s’agit de L’accord multilatéral de coopération en matière de lutte signé en 2005 entre 09 pays entre le Benin, le Burkina Faso, la Cote d’Ivoire, la Guinée, le Liberia, le Mali, le Niger, le Nigeria et le Togo.

  • La Convention de la CEDEAO sur les armes légères,
  • La Convention de la CEDEAO A/P du 1er Juillet 1992, relative à l’entraide judiciaire en matière pénale.
  • L’Accord de Coopération de la CEDEAO, en matière de la police criminelle.
  • La Convention de la CEDEAO A/P du 1ER Aout 1994, relative à l’extradition.
  • C’est pourquoi, du haut de ce pupitre, je salue les efforts de nos Etats visant à la mutualisation de leurs efforts, par la signature des traités bilatéraux et multilatéraux, en vue de mieux organiser la synergie d’action contre le crime organise.

A l’évidence, tous ces instrument traduisent une réelle volonté des signataires, de lutter ensemble, contre la traite des personnes et le crime organisé. Ce sont des actions à encourager et à renforcer, parce que le fléau persiste avec une regrettable vigueur.

Conclusion

Pour sa part, la Côte d’Ivoire est reconnaissante de l’appui des institutions internationales, dont elle bénéficie, dans ses actions de lutte contre la traite des personnes et le crime organisé. Ainsi, avec l’appui technique et financier de l’ONUDC, les capacités des instances nationales de coordination des actions tendant à mettre en œuvre les cadres juridiques et politiques de lutte contre la traite des personnes, ont été renforcées. Il en est de même des capacités des praticiens de la justice pénale (OPJ, Magistrats) à mener des enquêtes et des poursuites centrées sur les victimes de la traite des personnes. De plus en plus de  des sessions de formations sont initiées, pour renforcer leurs capacités en la matière.

Le Magistrat que je suis reste néanmoins conscient que de bonnes volontés isolées et des initiatives éparses sont loin d’être suffisants.

C’est pourquoi, à l’image de Karl Marx en 1848 et de Friedrich Engels par. La suite, j’aimerais pouvoir crier, tout de suite et maintenant ‘‘Législateurs de tous les pays, unissez-vous, vous n’avez rien à perdre, à part la traite des personnes et le crime organisé qui minent vos sociétés’’.

Merci pour votre aimable attention !

NB : ‘‘Prolétaires de tous les pays, unissez-vous’’ est une des phrases les plus connues du communisme. Elle conclut le Manifeste du Parti communiste, publié en 1848 par Karl Marx et Friedrich Engels. La suite, moins connue est « Vous n'avez rien à perdre, à part vos chaînes ».