La notion de « loi naturelle » fait partie de la doctrine catholique romaine. Elle est présente dans le catéchisme qui exprime la pensée conservatrice de la théologie catholique à la fin du XXe siècle. Elle est utilisée dans une perspective éthique et tout particulièrement en matière de bioéthique. Comme ces débats sont largement médiatisés, l’expression est bien connue mais souvent mal comprise. Ce serait une erreur d’en rester au seul point qui concerne la morale. Aussi il est important de prolonger nos travaux et d’aller au cœur de la difficulté actuelle où les connaissances scientifiques jouent un rôle majeur.
1. Une loi naturelle
1.1. Une loi non écrite
Pour comprendre la notion de « loi naturelle », il importe de revenir à la source. Celle-ci se trouve dès les origines de la culture dans la Grèce ancienne. La situation est bien connue, une jeune fille, Antigone, brave la loi de la Cité édictée par son oncle. Celui-ci, en réponse à une tentative de prise de pouvoir a fait tuer le frère d’Antigone ; pour que sa mort soit présentée comme une infamie, il a supprimé les rites de sépulture. Antigone a bravé l’interdit et accompli pour son frère le rituel prévu pour les défunts. Elle justifie son acte en faisant appel contre la loi de la Cité à une « loi non écrite ». Le qualificatif « non écrit » s’oppose à la loi de la Cité qui est inscrite dans un code et promulguée grâce à l’écriture qui lui donne valeur supra-temporelle. L’appel à un principe « non écrit » renvoie à ce qui est non seulement plus ancien que ce qui vient d’être mis par écrit, mais à ce qui transcende l’écrit. Cela s’entend en deux sens. D’abord, l’écriture particularise ; ce n’est donc pas universel. Si la loi est écrite en grec, peut-elle avoir de la valeur pour le monde arabe ou chinois ? Ensuite, l’écriture fige ; elle est d’un temps, la loi écrite est circonstanciée – pratique, elle ne va pas au fond et risque d’être superficielle, puisque valable pour une situation particulière. Ainsi l’appel à une loi non écrite est-elle une invitation à sortir de ces limites pour promouvoir ce qui est à la fois plus profond et plus universel.
L’appel d’Antigone à une loi « non écrite » renvoie donc à ce qui à la fois universel et fondamental. Les lois particulières de la Cité, les lois circonstanciées de la Société doivent s’y enraciner et trouver dans leur conformité à cette loi leur légitimité. Comment expliciter cette situation ? Deux perspectives s’ouvrent alors : celle de la référence à une transcendance ou à une réalité immanente.
1.2. La référence à la nature
La référence à une réalité immanente s’est faite dans la perspective spécifiquement grecque qui habite notre culture : la nature. La référence à la nature a été développée par les philosophies stoïciennes. Les philosophes stoïciens avaient le souci de l’universalité. Ils ont cherché un fondement qui puisse convenir à tous. D’abord, ils ont vu que l’on ne pouvait bâtir cette universalité sur un texte religieux présenté comme révélé – chaque religion a ses textes et rejettent ceux des autres. Ensuite, ils ont vu qu’on ne pouvait non plus fonder l’unité et la paix sur des rites sociaux et religieux, qui sont des marques de séparation – comme on le voit à propos de la nourriture et de la boisson. Enfin, ils ont vu que l’on ne pouvait prendre une philosophie, puisque le propre de la philosophie est dans la différence des analyses et des conceptualisations. Ils ont donc proposé de se référer à la nature, le terme de nature renvoyant à un donné premier, commun à tous, source des mêmes exigences. La loi non écrite était donc celle qui était dans la nature. La science la découvre et la met en forme, mais cette mise en forme est à l’évidence précaire. Il faut donc se référer à plus profond que ce que décrivent et analysent les textes scientifiques : une loi naturelle universelle, non encore écrite, qui est matricielle pour toutes les lois que l’on écrit et qui sont marquées par le signe de la précarité.
L’expression « loi naturelle » a été forgée pour désigner un ensemble de convictions fondatrices pour une culture où la science occupe une place importante, mais pas exclusive, puisqu’il s’agit aussi des fondements du Droit. Pour clarifier la notion, il est utile de relever qu’elle comporte quatre éléments : un idéal, un ordre, une finalité et un impératif.
1.3. Diverses visions de la nature
Les quatre éléments (idéal, ordre, finalité, impératif) sont indissociables ; la manière de privilégier tel ou tel aspect caractérise une philosophie ou plus modestement une famille d’esprit.
Le premier mot employé « idéal » s’inspire de la tradition platonicienne pour qui l’intelligibilité vient de la perfection d’une forme parfaite qui est réalisée dans une matière qui lui résiste. La valeur du savoir est la connaissance de ces formes parfaites ; ainsi la mathématisation de la science moderne, emblématiquement opérée par Galilée et Kepler et thématisée par Descartes est une traduction de cette perspective. La science est un système de loi qui prend place dans une vision d’ensemble, une « théorie », où le concept est premier.
Le deuxième terme employé, « ordre », est très présent dans la tradition marquée par le stoïcisme et radicalisée dans la philosophie de Spinoza. Il est fondé sur la conviction que l’intime de la réalité est rationnel – ce qui justifie l’entreprise scientifique. La science manifeste la valeur de cette philosophie quand elle ne cesse de progresser et de trouver la raison des effets. La science est une manifestation de l’intime de la nature et des forces qui la façonne de l’intérieur.
Le troisième terme employé, « finalité », est présent dans l’étude des êtres vivants. La référence philosophique est ici Aristote et ses disciples. L’emploi de ce terme prend acte du dynamisme interne des phénomènes où chaque être tend à réaliser le meilleur, à commencer par sa survie.
Le quatrième terme « impératif » considère que la loi est ce qu’il faut faire. La vision du monde qui en résulte est celle où le terme de « loi » est prescriptif. La science est tournée vers la technique, les actes de transformation de la réalité. Il s’inscrit dans la perspective nominaliste qui domine la tradition de pensée anglo-saxonne mais aussi dans les perspectives de Kant où la distinction entre noumène et phénomène ouvre la voie au pragmatisme.
La typologie ainsi esquissée permet de comprendre les différences entre systèmes de pensée. Elle permet de clarifier l’esprit dans lequel la science se développe et les grands systèmes philosophiques. L’important est ici de voir comment la science est solidaire des grandes options de la pensée mais aussi de comprendre pourquoi un changement dans les sciences modifie la manière de se référer à la vie sociale et même à la compréhension de l’action de Dieu. Le lien se fait autour de la notion de loi naturelle. Ceci a lieu actuellement. La notion traditionnelle de « loi naturelle » de la tradition catholique est remise en question par la théorie de l’évolution. Ce point concerne notre rencontre qui accueille les déplacements opérés par les découvertes actuelles dans les sciences.
2. Questions nouvelles
Ce que l’on appelle aujourd’hui théorie de l’évolution modifie profondément la notion de loi naturelle traditionnelle. Trois points doivent être relevés : la notion d’espèce, la notion de hasard, la notion de vie.
2.1. Darwin et la notion d’espèce
Le maître livre de Darwin, L’Origine des espèces, a paru en 1859. Ce fut un événement considérable. D’abord, cet ouvrage répondait scientifiquement à des questions que les scientifiques et les milieux cultivés se posaient depuis près d’un siècle. Il faisait davantage : il donnait une vision d’ensemble du monde des vivants. Il présentait pour la première fois un tableau de tous les vivants ; il le faisait sous la forme d’un arbre dont le tracé permettait d’unir deux éléments : l’unité de tous les vivants et la diversité. L’explication avait le mérite de la simplicité et de la clarté par le mécanisme de la « sélection naturelle ».
Darwin n’entrait pas dans une perspective philosophique, il voulait en rester au plan scientifique en proposant une explication : le jeu de la sélection naturelle selon lequel le plus apte transmet à ses descendants les raisons de son avantage et qu’ainsi se construisent des ensembles de populations partageant ces mêmes avantages parce qu’ils se reproduisent mieux. Comme les avantages ne sont pas pérennes ainsi les populations changent ; elles finissent par faire des ensembles qui ne communiquent plus, les espèces biologiques. Cette vision de la nature repose sur un principe de continuité selon l’adage aristotélicien « natura non facit saltus ».
Pour les anciens naturalistes, la notion d’espèce dans la classification des vivants était considérée comme un invariant. Darwin a vu que la notion d’espèce changeait de statut ; elle n’était plus celle de ses prédécesseurs Linné ou Buffon. Il a mis sur le même pied les variétés et les espèces. Darwin voit que les frontières sont abolies. Les frontières habituelles sont abolies – sinon dans le présent immédiat du moins dans le passé comme ce le sera dans l’avenir. On ne parle plus d’espèces, mais de populations. Ainsi la nature est en perpétuel changement, non seulement de place ou de relation, mais un changement qui concerne l’identité des vivants. La nature est un perpétuel changement. Ce fait bouleverse l’idée la plus commune de création qui habite la notion de « loi naturelle » – que Darwin a bien connu dans ses études de théologie, selon l’école « théologie naturelle » qui l’avait enchanté. Elle s’inscrivait dans la tradition platonicienne, explicitée par saint Augustin. Pour celui-ci la création est comprise par analogie avec l’action humaine ; l’œuvre humaine est le fruit d’une décision de faire qui porte sur une idée : l’architecte bâtit selon un plan préalablement conçu ; un projet industriel se développe selon un projet qui doit être clairement défini… Augustin dit que la création est une production des êtres vivants qui se fait selon la pensée de Dieu. Or cette pensée de Dieu est éternelle ; comme les espèces sont pensées par Dieu quand il les crée, elles correspondent à ce que Dieu veut en son éternité. Elles sont invariantes. Les changements dans la nature ne sont pas radicaux. Ainsi la notion d’espèce est celle d’un invariant. En ce sens l’explication donnée par Darwin récuse le discours commun sur la « loi naturelle » où les vivants sont créés « selon leur espèce » dans une fixité.
2.2. La théorie synthétique
Si Darwin fut le premier à donner une explication mécanique de la spéciation, son explication est insuffisante. La théorie de l’évolution a pris son statut définitif avec ce qu’il convient d’appeler « théorie synthétique », théorie élaborée au milieu du XXe siècle. Elle assume les résultats de la génétique et par ce biais remet en cause la vision chrétienne traditionnelle. Les mutations dues à la transmission des gènes ne sont pas prévisibles ; il faut prendre acte du hasard. Les mutations sont aléatoires. On ne peut donc parler de finalité dans le processus de l’évolution. Or ceci contredit une notion classique de la philosophie de la nature, celle de la finalité.
Ceci a pour effet de déplacer le discours traditionnel sur la providence qui repose sur l’idée suivante que le déroulement de l’action se fait selon un plan que connaît celui qui sait d’avance, prévoit et ordonne en fonction de ce qu’il a prévu dans le cours logique des choses. Providence signifie en effet, voir au-devant : au sens temporel et au sens spatial.
La recherche en génétique n’en est pas restée à l’état de la théorie synthétique. La meilleure connaissance de la génétique en particulier le décryptage du génome permet de voir que la formation des vivants n’est pas arbitraire. Elle se déroule selon ce qu’il faut appeler un programme – par analogie avec les machines construites par les hommes. Or la programmation suppose une finalité, une finalité interne au vivant lui-même. Il se confirme que le vivant n’est pas une mécanique. C’est ainsi que la biologie apporte la confirmation que le vivant n’est pas une machine au sens purement mécanique du terme. C’est une unité qui a une certaine transcendance par rapport à son fonctionnement ; l’analyse ne suffit pas ; il faut assumer l’unité.
Si cette nouvelle manière de voir l’évolution permet de renouer avec une perspective de finalité, elle bouleverse cependant l’idée de « loi naturelle », car elle ne considère la finalité que dans le sujet vivant lui-même. Elle est réticente vis-à-vis d’une reconnaissance générale de ce que la notion de loi naturelle implique dans la tradition chrétienne : une vision d’ensemble.
2.3. Naissance de l’esprit
Le troisième point qui concerne l’impact de la théorie de l’évolution sur la vision traditionnelle vient de la prise en compte de la démarche retracée par l’évolution pour la formation de l’esprit humain grâce à la structuration du cerveau. Les neurosciences en effet s’interrogent sur la question de savoir comment l’esprit s’est développé. Le modèle de l’explication repose sur un processus de bouclage de la causalité : ce qui est fait agit en retour sur ce qui est principe d’action et ainsi le principe de l’action se trouve modifié. Ce processus n’est pas théorique, il est inscrit dans la structuration neuronale. Ainsi par ce biais la notion d’esprit est prise en compte par les sciences. Il y a une « naturalisation » de l’esprit humain.
Cette perspective a pour effet de rompre avec toute forme d’idéalisme et plus précisément avec la notion d’action spéciale pour la création de l’humanité. Point n’est besoin de placer une rupture. Ainsi la notion de loi naturelle dans ce qu’elle a de spécifique pour dire la grandeur de l’esprit humain qui se dresse contre la nature est-elle invitée à être repensée.
3. Une proposition
Les remises en question de la notion traditionnelle de loi naturelle sont une invitation à un effort pour la repenser. Pour ce faire, il me semble utile de revenir au sens premier du mot « nature ». La notion tant en grec (physis) qu’en latin (natura) vient du verbe qui signifie naître. Or la naissance n’est pas un fait isolé. Elle s’inscrit dans un processus au cours duquel un sujet devient ce qu’il est. La vision dynamique de la nature est inscrite dans son sens premier. Le développement de la science moderne est l’occasion de le retrouver et de l’affiner.
3.1. Le dynamisme des vivants
La vision nouvelle de la vie et tout particulièrement de l’être humain qui résulte du mouvement de la science actuelle est marquée par la notion de devenir. Bien des scientifiques emploient le terme « histoire » à ce propos. Ceci vaut de manière éminente pour l’étude des êtres vivants. La reconnaissance de la richesse de la notion d’information permet de redonner sens à une distinction entre deux termes du vocabulaire de la philosophie grecque. Pour nommer le vivant, deux termes sont présents : bios et zoê. Le mot bios se rapporte à la vie en ses actions et ses manifestations. Nous employons ces termes dans le sillage d’Aristote quand nous parlons de « vie active », de « vie contemplative », de « vie politique », de « vie familiale », de « vie affective », de « vie intellectuelle »… Le mot zoê se rapporte à ce qui fait le vivant comme tel ; c’est ce qui le fait différent des êtres inertes ou des entités abstraites. C’est en réponse à cette question que la référence de l’être humain avec le kosmos prend sens. Les travaux de la biologie actuelle confirment cette perspective en reconnaissant que le vivant se comprend de manière historique. C’est là le point décisif de notre philosophie de la nature.
Pour en rendre compte, il faut renouer avec le concept de finalité, entendu dans les limites de la pratique scientifique. En ce sens, Jacques Monod a introduit la notion de « téléonomie ». On ne peut se contenter de dire qu’un gène se réduit à sa capacité de réaliser une fonction ; c’est l’ensemble gène plus environnement qui lui permet de s’exprimer. L’unité prime sur l’organisation physique ou spatiale des éléments. L’unité peut être considérée comme principe d’un dynamisme, d’un vouloir vivre qui mobilise et ordonne les ressources, les capacités et les énergies disponibles. Vivre c’est vouloir vivre ! Ce vouloir est exprimé par les termes classiques de la philosophie : appetitus, nisus, conatus, instinctus qui renvoient au grec orgè et epithumia. Cette dynamique est engagée dans la définition du vivant[1] et dans le souci actuel de fabriquer du vivant.
3.2. La personne humaine
Une autre exigence est de ne pas penser la personne humaine comme séparée de tout. La notion de loi naturelle signifie que la totalité est bien ordonnée et doit être prise en compte. L’être humain n’est pas isolé. Il est solidaire de tout ce qui est. Le propre de l’être humain n’est pas saisi quand il est isolé. C’est en montrant comment les divers éléments sont unis dans un acte, l’acte de vivre, que l’on comprend ce qu’est un être vivant. Il s’agit donc de mettre en œuvre une philosophie où, pour un vivant, la diversité des composants est prise dans l’unité qui lui donne de s’arracher à la croissance de l’entropie. Cette unité est nommée dans la tradition philosophique par le terme « forme » (en grec entelechia). Or la « forme » n’est pas quelque chose qui surplombe et laisse les composants inchangés. Il y a un aspect dynamique.
Prenant acte du fait que l’être humain est le fruit d’une évolution, nous définissons l’être humain comme celui qui est un par sa forme, en grec psychè. La « forme » qui fait l’être humain est spécifique : c’est ce que les grecs appelaient psychè, terme traduit en latin par anima, que l’être humain est singulier et irréductible. Ainsi la loi naturelle est pour l’humanité l’attestation de ce principe de vie qui ne se laisse pas réduire aux exigences pratiques de la vie et des échanges qui la rend possible. La transcendance de la loi naturelle n’est pas dans l’intemporel des archétypes, mais dans l’unité de la personne humaine. L’unité est principe d’individuation ; elle arrache à la règle pratique de la Cité ou des appartenances sociales. Corrélativement, elle accède à l’universalité.
Ainsi la loi naturelle est spécifiquement humaine ; elle est inscrite dans toute personne singulière, en son corps humain et en sa conscience singulière ; elle est aussi universelle parce que ceci est le fait de tout être humain. Ainsi se trouve fondée une exigence – celle qu’exprime le mot « loi » qui a un aspect normatif et impératif. Elle permet de juger les actions et les comportements : elle est une référence pour discerner entre le bien et le mal.
3.3. Une responsabilité à assumer
La notion de loi naturelle indique donc une responsabilité. Elle n’est pas une contemplation dans l’éternité des principes immuables, mais une découverte laborieuse du chemin de la vie. Elle n’est pas non plus la réalisation pratique de telle ou telle civilisation qui accentue certains points et de ce fait place les autres dans l’ombre, ou au second plan.
Cette responsabilité est exprimée par le terme « culture ». Le terme dit que l’être humain qui vient au monde n’est pas achevé. Il doit advenir à lui-même par un processus d’intériorisation dans un jeu de relations avec ses proches (parents, famille, éducateurs…). Ainsi la nature humaine est-elle « culture ». Le terme est riche de sens. Il signifie souvent une compétence, un style de vie ou une expérience vécue. Il prend dans notre propos un sens plus dynamique. Il désigne une exigence : celle de la croissance et de la réalisation optimale de ses aptitudes.
La culture est bien l’exigence d’un accomplissement. Comme le montre les sciences d’aujourd’hui (la biologie, mais surtout les neurosciences), la nature humaine est ouverte ; elle est le don d’un possible qui doit prendre un visage particulier. On le voit aujourd’hui dans les débats sur l’identité sexuelle dont la confusion vient de l’ignorance du fait que rien dans l’humain n’est figé, car toujours ouvert – pour un destin singulier (voir l’appendice).
Conclusion
La Révélation apporte un surcroît d’autorité à des énoncés qui peuvent être par ailleurs formulés selon la raison naturelle. Les débats actuels sur la loi naturelle montrent que le recours à l’autorité de la Révélation ne saurait se faire à l’encontre de la raison. Pour une raison théologique d’abord : ce serait conduire Dieu à se contredire. Pour une raison d’expérience ensuite : ce qui n’est pas enraciné dans l’expérience et dans la réflexion humaine ne peut servir de fondement à quelque œuvre que ce soit. Notre propos entend montrer une voie qui tienne compte de ces deux exigences : fidélité au réel et audace de la nouveauté. Il ne s’agit pas d’épuiser le champ du possible, mais de lui donner un visage singulier, irréductible. Seule contre la loi de la Cité imposée par son oncle, Antigone est plus grande en humanité que ceux qui sont soumis passivement à la loi du Tyran. Cette figure habite aussi l’histoire des sciences.
Nous disions en commençant, que la notion de « loi naturelle » comporte quatre éléments : un idéal, un ordre, une finalité et un impératif. La difficulté est d’accorder ces quatre instances de jugement. La manière de le faire caractérise les divers courants philosophiques. Il apparaît que dans le mouvement de la théorie scientifique de l’évolution, la philosophie du devenir est devenue paradigmatique (au sens de Kuhn) ; de ce fait, la notion de loi naturelle assume les perspectives qui soulignent le dynamisme inscrit dans les êtres vivants. Ainsi les éléments d’ordre et d’impératif passent au second plan. Par ailleurs, l’idéalité n’est plus pensée comme participation à une transcendance extra-mondaine, mais comme une immanence. L’aspect impératif de la loi se déplace donc pour laisser place à l’autonomie et à la responsabilité. La loi naturelle est donc dynamisme d’accomplissement. En ce sens la théologie chrétienne l’assume bien ; ce qui implique un changement de perspective dans le discours éthique. Celui-ci doit être plus attentif au dynamisme de la vie et donc à ce que la théologie classique appelle « espérance ».
Footnote
[1] Pierre-Henri Gouyon résume la perspective moderne quand il écrit : « La "forme" n’est pas quelque chose qui surplombe et laisse les éléments qui la composent inchangés. D’un point de vue dynamique, l’émergence et l’émergence d’une forme impliquent qu’un ensemble d’éléments entre dans un rapport critique (dit de "corrélation") où chaque élément existe pour ou par les autres, la globalité existant sous la forme d’une résultante » (Pierre Henri Gouyon et Miguel Benasayag, Fabriquer le vivant ? Ce que nous apprennent les sciences de la vie pour penser les défis de notre époque, Paris, La Découverte, 2012, p. 33).